Partie A

concepts-clés et bases de l'éducation interculturelle

Chapitre 1 - Les enjeux, les problèmes et leurs origines

Examen des aspects suivants :

• Évaluation de la différence

• Division économique du monde entre le Nord et le Sud

• Notre continent en plein changement

• Notre réaction face à ces changements

• La nécessité d'apporter des réponses nouvelles à des situations nouvelles

Une réalité caractéristique de nos sociétés : la différence

Nous, êtres humains, sommes tous différents, à maints égards, et pouvons être identifiés par rapport à de nombreux critères : sexe, âge, caractères physiques, sexualité (hétérosexualité, homosexualité), personnalité, hobbies, niveau de vie, croyances... Dans ce kit, nous nous concentrerons sur les différences culturelles, sociales et ethniques. Nous allons étudier l'interaction entre des individus différents, ainsi que leur mode de vie, leurs valeurs et leur culture, et les relations entre les majorités et les minorités dans nos sociétés.

Nous allons travailler à partir de la différence, en prenant pour point de départ des conceptions, des idées, des valeurs et des comportements différents, pour aboutir en terrain d'entente. Malgré l'interaction des différences, il est possible de parvenir à de nouvelles solutions et à de nouveaux principes d'action : ils sont basés sur l'égalité de la dignité et des droits pour tous.

Ces considérations peuvent sembler plus claires en référence aux personnes d'autres sociétés ou pays, mais nous devons aussi parler de ce qui se passe à l'intérieur de nos propres frontières géographiques. Nous nous sentons différents de ceux d'entre nous nés et vivant dans notre pays, mais dont les cultures et les modes de vie diffèrent quelque peu des nôtres. Le principal enjeu consiste pour nous à découvrir comment vivre et interagir avec ces différences de manière créative.

L'histoire a connu des vagues d'immigration successives, de telle sorte que l'Europe d'aujourd'hui est peuplée de personnes de cultures très diverses. Cela rend la vie plus intéressante et excitante, mais aussi plus compliquée. C'est une réalité en ce début de 21ème siècle : nous vivons dans des sociétés multiculturelles.

Les différences entre les individus ne sont pas perçues en tant qu'atout et conduisent généralement à la suspicion ou au rejet

Nous vivons dans un monde déroutant. Dans un sens, il semble que nous nous rapprochions les uns des autres. Pour les quelques-uns qui bénéficient de l'accès aux autoroutes de l'information ou aux chaînes de télévision par satellite, il est possible d'entrer en contact avec l'autre côté de la planète en quelques secondes. Mais, plus près de chez nous, les distances qui nous séparent les uns des autres ne cessent de croître. Nous ne profitons pas de nos sociétés culturelles comme nous le pourrions : c'est-à-dire en tant que phénomène enrichissant de par sa diversité et que nous ne devrions en aucun cas nous permettre de gaspiller.

Malheureusement, il arrive que la présence de personnes «différentes» dans un pays conduise au désintérêt et à l'indifférence, si ce n'est à la discrimination et à l'intolérance. Pour les minorités dans nos sociétés, la discrimination infiltre tous les secteurs de la vie : la fourniture des services publics, les possibilités d'emploi, la durée de la garde à vue, le logement, la représentation et l'organisation politique, l'accès à l'éducation.

L'escalade de l'intolérance conduit souvent à la violence et, dans les cas les plus extrêmes, au conflit armé. Nous utilisons la définition donnée par le Conflict Data project de l'Université d'Uppsala : un conflit armé est un différend conflictuel qui concerne un Etat et/ou un territoire, et où l'utilisation de la force armée entre deux parties, dont l'une d'elle au moins est un Etat, entraîne au moins 25 décès liés au combat.

Ce projet a recensé au moins 90 conflits armés entre 1989 et 1994, dont quatre seulement entre Etats. Les 86 autres ont explosé au sein même d'Etats : guerres civiles pour des questions territoriales et politiques, conflits ethniques, nationalistes et religieux. Les derniers chiffres dont nous disposons sont ceux de 2002 : ils font état de 29 conflits armés « actifs », ayant à nouveau, pour la quasi-totalité d'entre eux, éclaté au sein même d'Etats1.

Pratiquement tous les pays se sont construits par le biais de l'intégration d'autres cultures. En Europe, seule l'Islande peut être qualifiée de société principalement monoculturelle. Mais, même dans ce pays, les choses changent !

Si la diversité est la norme au sein de nos sociétés, pourquoi manifestons-nous tant d'intolérance à l'égard de ceux que nous jugeons différents ? Il est clair qu'il n'existe pas une seule réponse à cette question et que, pour en développer tous les aspects à prendre en considération, ce kit ne suffirait pas. Néanmoins, il serait peut être utile de clarifier certains points si nous voulons explorer les origines de ces «nouvelles» sociétés multiculturelles dont l'apparition est moins soudaine qu'il n'y paraît.

Quand pour la première fois avez-vous entendu l'expression de «société multiculturelle» ? Qu'est-ce que cela signifiait pour vous ? Et qu'est-ce que cela signifie pour vous à présent ?

Les sociétés multiculturelles d'aujourd'hui sont, dans une grande mesure, le fruit des processus économique et politique

En Europe, le développement des sociétés multiculturelles s'est affirmé suite à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Tandis que la division idéologique Est-Ouest s'intensifiait, on observait de grands mouvements de population au sein et autour de la sphère d'influence de l'Union Soviétique. La reconstruction économique dans les pays d'Europe centrale et du Nord (essentiellement en Grande-Bretagne, en France, en Allemagne et aux Pays-Bas) signifiait un besoin accru de travailleurs.

Durant les années 50 et 60, deux principales formes de migration se produisirent. Tout d'abord, il y eut ceux qui disaient : «Nous sommes ici parce que vous étiez là-bas». L'immigration en provenance des colonies et des anciennes colonies concernait ceux qui retournaient dans leur «mère patrie» et des individus de divers groupes ethniques, comme par exemple : les Indiens en Grande-Bretagne, les Algériens en France et les Indonésiens aux Pays-Bas. Ensuite, les pays les plus industrialisés commencèrent à recruter des travailleurs du Sud de l'Europe (Espagne, Portugal, Italie, Grèce, Yougoslavie, Turquie) et d'autres pays proches. D'une manière générale, ceux-ci intégraient le marché du travail du pays d'accueil en tant que travailleurs manuels et, en principe, étaient accueillis amicalement : on avait «besoin» d'eux.

Quelles sont les formes de migration qui ont été observées depuis ou en direction du pays dans lequel vous vivez, de 1950 à 1970 ?

La crise économique qui débuta en 1973 changea la situation. Les hausses du prix du pétrole, auparavant impensables, encouragèrent le développement de nouvelles technologies et modes de production. En conséquence, tous les pays industrialisés connurent une rapide augmentation du chômage.

Ce chômage de nature structurelle affecta surtout les «plus faibles» au sein du système de production, c'est-à-dire ceux occupant les emplois les moins qualifiés, notamment les immigrants étrangers. L'accueil amical réservé à l'origine se transforma en peur ou en suspicion : «Nous n'avons plus besoin de vous». Face aux problèmes économiques, les étrangers devenaient les boucs émissaires et se voyaient reprocher de prendre les emplois de la population du pays d'accueil. Beaucoup d'immigrants arrivés dans les années 50 et 60 rentrèrent dans leurs pays qui enduraient aussi de graves crises économiques. L'une des répercussions les moins connues des bouleversements radicaux en Europe centrale et orientale, durant ces dernières années, fut le retour forcé de travailleurs et d'étudiants dans des pays comme le Vietnam, le Mozambique et Cuba - on n'avait plus «besoin» d'eux non plus.

Depuis la fin des années 70, l'Europe est devenue la principale destination d'une nouvelle vague migratoire formée principalement de personnes du sud de la Méditerranée et des pays dits du «tiers monde». Contrairement à la migration des années 50 et 60, ce phénomène n'a pas été initié par les pays européens, mais il trouve ses origines et ses explications dans la précarité de la situation sociale, économique et politique de la majorité des pays du monde.