Section 4
Histoires
d'intolérance racontées par des jeunes
Bonjour, je m'appelle Mélanie
et j'ai 21 ans. Le plus difficile pour moi, en tant
que métisse (moitié ivoirienne, moitié
suisse), est de ne jamais me sentir chez moi. Où
que je sois, on me considère comme une étrangère,
comme une «Blanche», ou comme une «Noire».
C'est le cas en Suisse, le pays de ma mère,
où j'habite, et ce fut aussi le cas lorsque
je vivais chez mon père, en Côte d'Ivoire.
Je me sentirais chez moi là où j'aurais
l'impression que les gens m'acceptent telle que je
suis !
Enfant, vous ne réalisez pas
que vous êtes différent des autres. Mais,
très vite, les autres se chargent de vous en
faire prendre conscience - même les enfants
peuvent adopter des attitudes très cruelles
à l'égard d'un enfant «pas comme
les autres».
Quelquefois, des choses incroyables
se produisent. Il y a quelque temps, en Suisse, je
traversais à vélo une petite place près
de l'endroit où j'habite. Une voiture s'est
arrêtée à ma hauteur, le chauffeur
a baissé la vitre et m'a crié : «Sheiss-Neger
- Sale négresse !». Je suis restée
figée. Je me suis sentie désemparée
et incapable de me défendre. J'ai vu que la
plaque d'immatriculation était allemande, ce
qui signifiait que le coupable lui-même était
un étranger dans ce pays ! Alors comment pouvait-il
oser m'insulter de la sorte ? J'ai eu envie de
le tuer. Lorsque je me suis ressaisie, j'ai pu réfléchir
à cette histoire plus sereinement. Ces racistes
sont des gens stupides qui ne connaissent rien à
la vie.
L'intolérance est vraiment ce
qui me dérange le plus. Je pense que chacun
est différent, et que chacun à droit
à sa différence - sans exception, quelles
que soient sa mentalité, la couleur de sa peau
ou sa religion. Mais cette différence ne doit
pas en faire des êtres humains de «seconde
classe». Tolérer ne signifie pas être
d'accord avec tout ; cela signifie simplement tenter
d'accepter sans condition. Que les gens soient plus
ouverts d'esprit à l'égard des étrangers
et de leur mode de vie, tel est mon souhait !
Mélanie, 21 ans, Suisse
Mon nom est Nikola Bobann. Je
suis moitié danois et moitié bosniaque.
Je vous écris à propos d'un incident
que j'ai vécu il y a trois ans. Je sortais
juste d'une école de commerce et je postulais
pour un emploi dans une grande entreprise très
respectée. Je possédais tous les diplômes
et les qualifications requises, et j'étais
confiant. Alors j'ai décidé d'apporter
ma candidature moi-même pour faire bonne impression.
L'entreprise m'a répondu
que je recevrais une réponse dans un mois.
J'ai attendu deux mois, puis j'ai décidé
de retirer ma candidature. J'étais déçu
mais, en même temps, je voulais connaître
les raisons de ce silence.
Je me suis rendu dans cette entreprise
pour la seconde fois, afin d'avoir un entretien avec
le directeur. Il étais assis derrière
une table couverte de papiers et me demanda pourquoi
j'avais retiré ma candidature. Alors je lui
répondis que je n'avais pas eu de réponse.
Il attrapa deux piles de dossiers et me demanda mon
nom. Je lui donnai mon nom, il parut surpris et me
demanda d'où je venais. Je compris que dans
l'une des piles se trouvaient les dossiers des candidats
avec des noms danois et, dans l'autre, les dossiers
des «étrangers».
A ce moment, je compris son air étonné.
A cause de mes yeux bleus et de mes cheveux blonds,
il avait crû que j'étais danois mais,
d'après mon dossier, j'étais étranger.
Cette expérience m'a fait prendre
conscience de l'existence du racisme, même dans
les entreprises renommées supposées
avoir une main-d'oeuvre intelligente.
Nikola Bobann, Danemark
Bonjour ! Mon nom est Juliana Violari.
Je suis de Chypre, j'ai 18 ans et je suis moitié
catholique, moitié orthodoxe. Mais il n'y a
pas que ça. Je suis aussi née de parents
qui vivent dans la zone turque depuis 1974. Pour mes
études, je suis venue dans la partie sud de
l'île. Lorsque j'avais 12 ans, j'ai quitté
la maison pour aller à l'école à
Nicosie. Je ne pouvais rendre visite à ma famille
que pendant les congés scolaires, à
Pâques, à Noël et pendant les vacances
d'été. C'est ainsi que les choses se
sont passées jusqu'à mes 17 ans. Mais,
depuis l'année dernière, je n'ai plus
le droit de rendre visite à ma famille. Mes
parents ont le droit de venir me voir, moi, ainsi
que mes frères et soeurs, une fois par mois.
Lorsque j'avais 13 ans, je suis allée
chez mes parents pour Noël. J'y ai passé
des vacances très agréables. A la fin
des vacances, je suis retournée dans la zone
grecque pour reprendre l'école. Mais les choses
se sont compliquées. Arrivés à
la «ligne verte», la police des frontières
turque ne voulait pas nous laisser passer en zone
grecque. Les policiers nous disaient que si nous passions
de l'autre côté, nous n'obtiendrions
plus jamais l'autorisation de rendre visite à
notre famille. J'ai pensé que c'était
la fin du monde. Je ne savais ni que faire ni que
penser. Comment pouvaient-ils me demander une telle
chose ? Comment pouvaient-ils m'empêcher
d'être chez moi, avec ma famille ? Comment ?
Mais je ne pouvais rien y faire. Les Turcs pensaient
que c'était la seule façon de nous faire
quitter nos maisons. Mais ils n'y réussirent
pas. Par la suite, plusieurs problèmes se sont
posés, mais je ne me suis jamais sentie aussi
mal que ce jour là. Malgré tous ces
problèmes, ma famille n'a jamais envisagé
de quitter sa maison pour vivre du côté
grec. J'espère simplement ne plus jamais ressentir
cela. Après tous, c'est un des droits de l'homme
que de pouvoir vivre où l'on veut dans son
propre pays. Et tous ces problèmes parce que
je suis grecque et qu'ils sont turcs. Tout est là.
Juliana Violari, 18 ans, Chypre
J'ai 24 ans, je suis Juif hongrois
et je vis à Budapest. Lorsque j'étais
encore au lycée, j'ai ressenti l'intolérance
plus que jamais. Une fois, en classe de chimie, nous
étudiions la méthode de fabrication
du savon. A un moment donné, l'un de mes collègues
assis au premier rang s'est retourné vers moi
et a crié : «Gabor, est-ce que tu entends
ça ?». Dans ce contexte, ce qu'il
insinuait était très clair. J'ai aussi
trouvé des phrases écrites sur le tableau,
du style : «Gabor ! Retourne en Israël
!», ou «Juif puant !». Les mots
de Juif ou de Gitan étaient toujours utilisés
de manière grossière. Les professeurs
ne sont jamais intervenus.
Gabor Rona, 24 ans, Budapest
Bonjour ! Je suis Anna, de Pologne,
et j'ai 20 ans. Je voudrais vous raconter une histoire
qui m'a fait beaucoup de peine. Cela s'est passé
il y a un an déjà, mais je m'en rappelle
encore parfaitement. J'était en Hollande, dans
le cadre d'un échange d'étudiant. Je
vivais dans une famille très gentille, dont
la fille Sandra m'a rendu visite par la suite en Pologne.
En rentrant d'un après-midi de shopping, Sandra
et moi avons rencontré un voisin à elle.
Il n'a dit bonjour qu'à Sandra, m'ignorant
totalement, et s'est mis à lui parler en danois.
Je ne comprends pas cette langue, mais j'ai eu l'impression
qu'il parlait de moi. Après son départ,
j'ai demandé à Sandra de me dire ce
qu'il lui avait raconté. Voici le bref dialogue
que Sandra avait eu avec son voisin.
Sandra : «Bonjour, comment vas-tu ?»
Lui : «Très bien. Je n'ai
pas de Polonais à la maison, moi.»
Pour moi, ce fut vraiment terrible
- Je ne comprenais pas pourquoi mon amie ne lui avait
pas reproché ses paroles. Sa mère m'a
expliqué que ce garçon était
probablement jaloux de ne pas pouvoir inviter un étranger
à la maison. En ce qui me concerne, je ne sais
pas. En tous cas, ce garçon n'était
même pas conscient de la stupidité de
son comportement. De tels comportements sont vraiment
déplorables !
Anna Smolen, 20 ans, Pologne
Mon nom est Daniel, j'ai 21 ans et
je vis au Danemark. Je vous écrit à
propos d'un incident qui m'est arrivé il y
a trois ans. J'étais à un anniversaire
chez mes meilleurs amis et nous faisions tous la fête.
Puis, nous avons décidé d'aller finir
la soirée en discothèque en ville. Arrivé
en boîte, le groupe s'est séparé
et je me suis rendu au bar pour boire un verre.
Au bar, j'ai remarqué
un homme qui me regardait bizarrement. Je n'aimais
pas son regard et cette situation me mettait mal à
l'aise, mais je n'y ai pas vraiment pris garde. Soudain,
l'homme s'est rapproché de moi et m'a demandé
où j'avais acheté ma cravate. Je pensais
que c'était une drôle de question, mais
je n'y ai pas fait attention, car je me sentais bien
disposé et j'avais envie de rencontrer de nouvelles
personnes. J'ai répondu à sa question
et, soudain, il a sorti un couteau de sa poche, a
agrippé ma cravate et l'a coupée net.
Puis, il a porté un coup de couteau en direction
de mes hanches et est parti. Tout cela s'est passé
dans la discothèque. J'étais choqué,
et ma première idée a été
de partir en courant. En allant récupérer
ma veste, j'ai remarqué que je saignais. Je
n'avais pas mal et cela n'avait pas l'air grave, mais
j'étais effrayé. La police est arrivée
et je leur ai raconté ce qui s'était
passé. Ils ont attrapé le responsable,
mais n'ont rien pu faire, car ils n'ont trouvé
ni témoins, ni arme du crime. L'homme a été
relâché.
Depuis, j'ai eu beaucoup de
problèmes. J'avais peur tout le temps et je
me sentais mal à l'aise dans la foule. Je ne
faisais plus confiance à personne - et j'ai
perdu beaucoup d'amis. J'ai suivi une thérapie
de groupe, sans résultat.
Je me demande souvent si l'homme qui
m'a poignardé se rend compte de ce qu'il a
fait cette nuit là.
Daniel, 21 ans, Danemark
Bonjour ! Mon nom est Marcella et j'ai
23 ans. Je suis né en Colombie, mais je vis
en Suède depuis 5 ans. Les raisons pour lesquelles
j'ai quitté la Colombie sont assez complexes,
mais l'une d'entre elles est le fait que je suis transsexuel.
Pour ceux qui ne savent pas ce que s'est, je vais
l'expliquer brièvement. Je suis né avec
le corps d'un garçon mais, au plus profond
de moi, j'ai toujours su que j'étais une femme.
Pour pouvoir vivre, j'ai entamé un long processus
; je suis aujourd'hui au milieu du chemin. Pour l'instant,
je n'ai pas encore changé de sexe, mais je
prends des hormones et, à présent, j'ai
vraiment l'air d'une femme. C'est très dur
d'être colombien, transsexuel et de vivre en
Suède. Souvent, je subis une double discrimination,
si vous voyez ce que je veux dire. J'ai été
battu, physiquement, mais aussi par des mots. Jusqu'à
présent, ma vie est un enfer, mais je suis
très heureux de pouvoir changer de sexe. J'espère
qu'un jour les gens m'accepteront pour ce que je suis.
Je ne suis ni pervers, ni bizarre en aucune façon,
je suis simplement quelqu'un qui veut vivre heureux.
Marcella, 23 ans, Suède
Mon nom est Tedros Tesfaye et j'ai
20 ans. Je suis né en Éthiopie, mais
je vis aujourd'hui en Suède. Je veux vous raconter
l'histoire de discrimination que j'ai vécue.
Durant l'été 1992, j'étais à
Stockholm avec deux amis. Nous avions passé
la soirée dans un club gay et avions décidé
d'aller manger un hamburger au McDonald. Nous avions
pris part à une soirée déguisée
et, par conséquent, nous étions habillés
de manière «différente».
Au McDonald, la plupart des gens nous
trouvaient drôles, et nous n'avions pas l'air
de les déranger. Mais il y avait un type qui
ne semblait pas apprécier notre apparence.
Il était très ivre et commença
à nous interpeller. Il me demanda si j'étais
un pédé, et je lui répondis :
«Oui, ça vous gêne ?».
Bien sûr, ça le gênait. Il me dit
alors qu'il aurait voulu me voir mort. Il voulait
que je creuse ma propre tombe, puis il voulait m'étrangler.
J'étais bouleversé et, lorsque ses amis
sont arrivés, je suis parti en courant. La
dernière chose que j'ai entendue c'est que
j'étais un sale nègre et un pédé
qui n'avait pas le droit de vivre. Je n'oublierais
jamais cette scène mais, une chose est sûre,
personne ne m'enlèvera jamais ma dignité.
Tedros Tesfaye, 20 ans, Noir,
pédé et heureux, Suède
La lecture de ces témoignages
soulève de nombreuses questions sur l'identité,
et amène chacun de nous à s'interroger
sur a) l'image qu'il a de lui-même et b) l'image
que les autres lui renvoient. Vous jugerez peut-être
utile de vous référer au débat
et aux activités sur le thème de « l'oignon
de l'identité » qui figurent dans
le Kit pédagogique.
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