Manuel pour la pratique de l’éducation aux droits de l’homme avec les enfants
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8. LES MÉDIAS ET L’INTERNET

Le Conseil de l’Europe recommande … une stratégie cohérente pour l’infocompétence et pour la formation à l’information qui conduira à une autonomisation des enfants et de leurs éducateurs, afin qu’ils utilisent au mieux les services et les technologies de l’information et de la communication…

Conseil de l’Europe, Recommandation du Comité des Ministres Rec(2006) 121

Les médias ont pris une telle place dans nos sociétés que l’on en parle souvent comme du « quatrième pouvoir », par analogie avec les trois pouvoirs traditionnels qui caractérisent une démocratie : le législatif, l’exécutif et le judiciaire. Pour certaines personnes, il y aurait même un cinquième pouvoir, à savoir les blogs qui, de plus en plus, entrent en concurrence avec les médias en soulevant des questions et en se positionnant comme observateurs critiques de l’actualité. Si, forts de ces pouvoirs, les médias peuvent contribuer à accroître la participation et à améliorer l’accès à l’information, ils présentent aussi des dangers, en particulier pour les enfants. Les compétences techniques qui permettent aux enfants d’accéder à l’information les exposent dans le même temps à des risques « en ligne ».

L’article 19 de la DUDH établit la liberté d’expression pour tous, dont le droit de recevoir et de partager des informations et des idées par tous les moyens. L’article 13 de la CDE élargit ce droit aux enfants. D’autres traités internationaux et la plupart des constitutions nationales établissent ce droit et garantissent la liberté de la presse, tout en imposant certaines limites aux médias en vue de protéger le droit des individus au respect de leur vie privée et de leur réputation. Les deux articles suivants de la CDE énoncent le droit de l’enfant de rechercher, de recevoir et de répandre des informations (article 13) et d’accéder à des informations fiables et compréhensibles en provenance des médias (article 17). Il en découle la responsabilité des médias de fournir aux enfants des informations adaptées et claires.

QUESTION : En quoi les médias influent-il sur les enfants avec lesquels vous travaillez ? Quels en sont les effets positifs ? Certains effets sont-ils négatifs ?

Les médias, les technologies de l’information et de la communication jouent aujourd’hui un rôle central dans la vie des enfants. Ces derniers restent assis plusieurs heures par jour devant la télévision et passent de plus en plus de temps en ligne, mettant en pratique des compétences techniques qu’ils acquièrent très rapidement auprès de leurs pairs. Les outils en ligne leur servent à jouer, dialoguer, alimenter et consulter des blogs, écouter de la musique, poster leurs photos et rechercher des partenaires pour communiquer. Parce qu’il existe un vrai fossé entre les compétences des enfants et des adultes en la matière, la plupart des adultes ignorent ce que font les enfants lorsqu’ils sont connectés.

Pour les enfants, ce monde virtuel est une manne d’opportunités, mais les pièges ne manquent pas. L’utilisation des médias électroniques, numériques et en ligne a quantité d’effets bénéfiques sur le développement des enfants, au plan du jeu, de l’éducation et de la socialisation. Mais, selon leur utilisation, ces médias peuvent aussi être préjudiciables aux enfants et à leurs communautés. Le monde virtuel peut modeler la vie des enfants avec autant de force que le monde réel, et les presser de la même façon à s’intégrer, être sympathiques et avoir plein d’amis.

L’exposition aux médias de masse, la télévision en particulier, a des répercussions négatives qui préoccupent les parents et les éducateurs, et qui ont fait l’objet de nombreuses études :

  • Le temps passé devant la télévision : il a été prouvé très clairement que les enfants qui passent plus de temps devant la télévision ont de moins bons résultats scolaires, tandis que les enfants dont les familles utilisent avec plus de circonspection les médias électroniques et les ouvrages imprimés réussissent mieux à l’école.2
  • La violence : En quoi les contenus violents affectent-ils les enfants, qu’il s’agisse de la télévision, du cinéma ou des jeux vidéo ? Ces répercussions concernent-elles tous les enfants ou seulement les plus vulnérables d’entre eux et uniquement dans certains contextes ?
  • Le culte de la consommation : On a reproché à la publicité sous toutes ses formes de manipuler les enfants, et par leur biais leurs parents, de les pousser à acheter certains produites (souvent liés à l’épidémie d’obésité dont ils sont victimes), des vêtements, voire des produits d’entretien, des voitures et même des voyages !
  • Les stéréotypes : On a reproché aux médias de perpétuer les stéréotypes sociaux, concernant notamment les rôles de genre et les caractéristiques ethniques.

En réponse à ces préoccupations, certains pays interdisent la publicité pendant la diffusion des programmes pour enfants. Quelques-uns ont mis en place une sorte de « couvre-feu » horaire, avant lequel la diffusion d’images pornographiques ou violentes est interdite. Dans quelques pays, les parents peuvent acheter des filtres pour empêcher que leurs enfants ne visualisent certaines émissions. Mais, à l’ère technologique des téléphones portables, des chaînes de télévision toujours plus nombreuses et de l’Internet, ces mesures sont souvent vaines.

Les médias les plus interactifs, comme l’Internet et la téléphonie mobile, génèrent d’autres dangers pour les enfants : ceux-ci peuvent communiquer des données qui risquent d’être utilisées pour de la publicité non souhaitée et ainsi ouvrir la porte aux prédateurs. Les enfants exploitent aussi parfois l’absence de contrôle sur ces médias pour envoyer des messages cruels et des photos dégradantes. Ces « cyberbrimades » sont faciles et particulièrement blessantes car souvent anonymes.

Droit à l’information contre droit à la protection

Les médias soulèvent deux questions concernant les enfants, celle de leur droit à la protection et celle de leur droit à l’information. Par exemple :

  • Accès et inégalités : L’accès à Internet n’est pas égal pour tous et risque de renforcer les inégalités entre enfants de différents horizons sociaux. Comment gérer ce « fossé numérique » et le combler ?
  • Contenus et contacts indésirables : De récentes recherches montrent que plus de la moitié des jeunes entre 9 et 19 ans qui surfent sur le Net au moins une fois par semaine y ont vu de la pornographie, la plupart du temps sans le vouloir. Certains sont « dégoûtés », d’autres « gênés », comme ils le sont par d’autres contenus non désirés, comme des images violentes ou des sites hostiles à certains groupes d’individus. Que faire face à cela ? Dans quelle mesure le fait de censurer l’accès des enfants aux médias met-il en péril leur droit à l’information ? Ou le droit à l’expression des autres ?
  • Le nouvel Internet et les infocompétences : Les enfants se considèrent généralement – et sont généralement considérés – plus compétents que leurs parents pour l’utilisation de l’Internet, grâce à quoi ils améliorent leur estime de soi ainsi que leur position au sein de la famille. Néanmoins, la plupart des enfants n’ont ni l’expérience ni la capacité de jugement pour évaluer les contenus ou les sources en ligne, pour rechercher et traiter les informations ou les utiliser pour communiquer. Comment des initiatives pédagogiques pourraient-elles répondre aux différents besoins d’infocompétences des enfants et des adultes ?3

QUESTION : Dans quel sens avez-vous développé l’utilisation de l’Internet et des médias pour que les enfants bénéficient du meilleur accès possible à l’information et à l’apprentissage ? Comment protégez-vous les enfants d’une utilisation inappropriée de l’Internet ?

L’éducation aux médias

L’une des réponses à ces questions consiste à éduquer les enfants pour qu’ils sachent consommer les médias et les utiliser pour communiquer en connaissance de cause et avec un esprit critique. L’éducation aux médias vise à sensibiliser tous les enfants – et si possible tous les citoyens – à l’importance et au pouvoir des médias. Il s’agit notamment de leur faire prendre conscience de ce qu’ils voient et des effets que cela pourrait avoir sur eux. Par exemple, on peut inviter les enfants à compter le nombre de scènes de violence visualisées sur un temps donné, à analyser le caractère envahissant des publicités ou à réfléchir à différents moyens de transmettre une information particulière, pour comprendre comment les médias parviennent à former et déformer la réalité.

Ces cinquante dernières années, trois tendances se sont dessinées dans l’éducation aux médias :

  • La technique de la « vaccination », qui vise à immuniser les enfants contre les effets des médias ;
  • Le développement de l’esprit critique, qui vise à développer chez l’enfant un jugement critique envers les contenus préjudiciables des médias ;
  • L’approche du « décodage », qui juge les médias indispensables à la compréhension du monde moderne et tente d’aider les enfants à comprendre le contexte économique et social dans lequel sont produits et consommés les médias, ainsi que la technique du codage des messages.4

La succession de ces approches révèle un changement d’approche de l’enfant, conçu d’abord comme un consommateur de médias, puis comme une personne vulnérable et, enfin, comme un citoyen qui participe à la société.

Avec le développement des technologies de l’information et de la communication, et l’Internet notamment, les bénéfices et les dangers d’un accès facilité à ces médias se sont intensifiés. L’Internet est un fantastique moyen d’accès à toute sorte d’informations et un formidable outil de communication à distance. Mais rien ne garantit que les informations fournies soient fiables ou que les échanges en ligne soient totalement dénués de mauvaises intentions.

L’éducation aux médias doit donc impérativement suivre le rythme de ces développements, afin d’inculquer aux enfants un esprit critique et une pleine compréhension de cet outil puissant. Elle doit aussi leur apprendre à mieux communiquer leurs idées en leur donnant la possibilité d’utiliser différents médias pour s’y familiariser, y compris la production assistée par ordinateur, la programmation radiophonique et télévisée, les sites Web et les blogs. Mais l’éducation aux médias est également cruciale pour les adultes qui travaillent avec les enfants. Les parents, les enseignants et les autres éducateurs doivent observer leurs enfants pour comprendre comment ils communiquent et vivent ensemble.

Concernant l’éducation aux médias, le Conseil de l’Europe a fait les recommandations suivantes :

Conscient du risque d’effets préjudiciables découlant des contenus du nouvel environnement de l’information et de la communication et des comportements qu’il peut engendrer qui, sans être toujours illégaux, peuvent nuire au bien-être physique, affectif et psychologique des enfants, tels que la pornographie en ligne, la représentation et la glorification de la violence sur autrui ou sur soi-même, les propos humiliants, discriminatoires ou racistes ou l’apologie de tels propos, la sollicitation (l’approche), l’intimidation, la persécution et d’autres formes de harcèlement … [Le Conseil de l’Europe] recommande que les États membres développent … une stratégie cohérente pour l’infocompétence et pour la formation à l’information qui conduira à une autonomisation des enfants et de leurs éducateurs, afin qu’ils utilisent au mieux les services et les technologies de l’information et de la communication…5

La Division des médias du Conseil de l’Europe a initié un projet relatif à la façon dont les parents et les éducateurs peuvent acquérir les connaissances et les compétences nécessaires dans une société dite « de l’information ». Le « Manuel de maîtrise d’Internet : Un guide pour les parents, les enseignants et les jeunes », produit par la Division des médias, contient des informations de base ainsi que des fiches documentaires au sujet de ce réseau d’information et de communication.6

Les instruments de droits de l’homme applicables

Conseil de l’Europe

La Convention européenne des droits de l’homme garantit le droit de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques (article 10). Ce droit s’applique tant aux enfants qu’aux adultes, sauf que les enfants ont le droit d’être protégés de l’exploitation et de l’exposition à des contenus inappropriés, violents et pornographiques. La Convention reconnaît que ce droit des enfants comporte des devoirs et des responsabilités inhérentes, et notamment celle de la « protection de la santé ou de la morale ». Cependant, le texte ne spécifie pas qui détermine si ces contenus sont « inappropriés » et de quelle façon.

L’article 9 de la Convention sur la cybercriminalité fait référence aux infractions se rapportant à la pornographie enfantine et déclare que les États membres doivent adopter les mesures législatives et autres qui se révèlent nécessaires pour ériger en infraction pénale diverses utilisations spécifiées d’un système informatique, dont la pornographie enfantine.

Nations Unies

Le droit à l’information est un droit de l’homme fondamental codifié à l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme :

Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.

Bien évidemment, lorsque la DUDH a été rédigée en 1948, personne ne pensait encore que l’Internet deviendrait un moyen de communication. Même en 1989, au moment où l’Assemblée générale de l’ONU a adopté la Convention des droits de l’enfant, l’utilisation de l’Internet par le grand public, et plus encore par les enfants, était inconcevable. Il est intéressant de noter, cependant, que la CDE distingue liberté d’opinion, liberté d’expression et liberté d’information en les traitant dans trois articles distincts et soulignant ainsi leur importance respective. L’article 12 garantit à l’enfant le droit d’exprimer une opinion qui soit prise en compte ; l’article 14 garantit le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; tandis que l’article 13 contient la principale mention au sujet du droit de l’enfant à la liberté d’expression et d’information :

L’enfant a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen du choix de l’enfant.

Mais cet article ne confère pas à l’enfant un accès illimité à l’information. Des garanties sont prévues pour protéger l’enfant contre l’exploitation (articles 19 et 36), notamment l’exploitation sexuelle (articles 19 et 34).

La Convention reconnaît également la capacité en développement de l’enfant, ainsi que son degré de maturité, et donc que ce qui peut être inapproprié pour un enfant en classe élémentaire peut convenir à un jeune adolescent. Comme pour de nombreux droits, les libertés en la matière se heurtent à des mesures de protection et exigent donc réflexion et négociation. Dans tous les cas néanmoins, l’intérêt supérieur de l’enfant doit guider toute décision.

Ressources utiles

Sites Web utiles

Références

1. Recommandation Rec(2006)12 du Comité des Ministres aux États membres sur la responsabilisation et l’autonomisation des enfants dans le nouvel environnement de l’information et de la communication: Conseil de l’Europe, 2006

2. Douglas A. Gentile et David A. Walsch, « A normative study of family media and habits, National Institute on Media and the Family », Applied Developmental Psychology 23 (2002), p. 174

3. Livingstone, Sonia et Bober, Magdalena, UK Children Go Online: Final report of key project findings: Conseil de la recherche économique et sociale, 2005

4. Masterman, Len et Mariet, François, L’éducation aux média dans l’Europe des années 90: Conseil de l’Europe, 1994

5. Recommandation Rec(2006)12 du Comité des Ministres aux États membres sur la responsabilisation et l’autonomisation des enfants dans le nouvel environnement de l’information et de la communication: Conseil de l’Europe, 2006: http://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=1041181&BackColourInternet=9999CC&
BackColourIntranet=FFBB55&BackColourLogged=FFAC75

6. Richardson, Janice, ed., Manuel de maîtrise d’Internet: Un guide pour les parents, les enseignants et les jeunes, 2e édition: Strasbourg, Conseil de l’Europe, 2006