Manuel pour la pratique de l’éducation aux droits de l’homme avec les enfants
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5. L’ÉGALITÉ ENTRE LES SEXES

Les éducateurs doivent prendre conscience de leurs propres visions stéréotypées en matière de genre et se demander si leurs méthodes, leur langage et leurs échanges avec les garçons et les filles reflètent l’égalité entre les sexes qu’ils s’efforcent de promouvoir.

L’égalité entre les sexes, c’est quoi ?

Question importante de droits de l’homme, l’égalité entre les sexes signifie l’égalité d’accès au pouvoir et de participation des hommes et des femmes dans toutes les sphères de la vie, privée et publique. Cela ne veut pas dire que les deux sexes sont identiques, mais qu’ils sont égaux en droits et en dignité. Comme les autres droits, l’égalité entre les sexes doit en permanence être défendue, protégée et promue.

Depuis plus de 150 ans, le mouvement pour l’émancipation de la femme axe son action sur l’élimination de la discrimination systématique que subit la majorité des femmes et qui porte atteinte à leur égale participation à la vie de la communauté. En conséquence, la vie de la plupart des Européens aujourd’hui, hommes et femmes, n’a rien à voir avec celle d’il y a un siècle. Parmi les domaines d’émancipation de la femme, citons :

  • leur égalité d’accès à l’éducation ;
  • leur entrée en grand nombre sur le marché du travail ;
  • leur meilleure condition au plan économique ;
  • le partage des tâches ménagères et de l’éducation des enfants ;
  • l’évolution des structures familiales ;
  • la culture des jeunes ;
  • les nouvelles technologies de l’information et de la communication.

En dépit de progrès significatifs dans le domaine, notamment au plan des attitudes, les obstacles à une réelle égalité restent nombreux et sont une réalité quotidienne en Europe.

Qu’est-ce que le genre ?

Le sexe et le genre sont deux choses différentes. Le sexe est une donnée biologique ; la plupart des êtres humains naissent biologiquement différents, homme ou femme. Le genre, en revanche, est une condition sociale. Comme l’explique l’Organisation mondiale de la santé (OMS) :

Le mot « sexe » se réfère davantage aux caractéristiques biologiques et physiologiques qui différencient les hommes des femmes.

Le mot « genre » sert à évoquer les rôles qui sont déterminés socialement, les comportements, les activités et les attributs qu’une société considère comme appropriés pour les hommes et les femmes.

En d’autres termes :

« Les hommes » et les « femmes » sont deux catégories de sexes, tandis que les concepts « masculin » et « féminin » correspondent à des catégories de genre.1

Quelques exemples de ces caractéristiques sexuelles :

  • Les femmes ont des menstruations, et tel n’est pas le cas pour les hommes.
  • Les hommes ont des testicules et les femmes n’ont en pas.
  • Les femmes peuvent allaiter leur enfant.
  • À la puberté, les garçons développent une plus importante masse musculaire que les filles.

Voici quelques exemples de caractéristiques de genre :

  • En Europe, les femmes gagnent sensiblement moins que les hommes pour un travail similaire.
  • Dans de nombreux pays, les filles font plutôt de la danse et les garçons du football.
  • Presque partout dans le monde, les femmes consacrent plus de temps aux tâches ménagères que les hommes.
  • Les garçons subissent plus de châtiments corporels que les filles.

Une part importante de l’identité et de l’individualité de chacun, à savoir les rôles de genre, se forme avec la socialisation. De nos jours, la famille, mais aussi l’école et le lieu de travail, les médias, les nouvelles technologies de l’information, la musique et les films influent sur ce processus. Des vecteurs de socialisation, certains traditionnels et d’autres nouveaux, contribuent à la préservation et à la transmission des stéréotypes en matière de genre.

L’égalité entre les sexes en Europe : une réalité encore partielle

Les stéréotypes de genre traditionnels sont toujours aussi fortement ancrés dans la culture européenne, comme en témoignent leurs manifestations quotidiennes. En conséquence, femmes et hommes ne jouissent pas de chances égales. Britta Lejon, ancienne ministre de la démocratie et de la jeunesse en Suède, a démontré lors d’une conférence la réalité de cette inégalité parmi les jeunes d’Europe :

  • Les jeunes hommes gagnent environ 20% de plus que les jeunes femmes.
  • Lorsque un jeune homme et une jeune femme vivent ensemble, cette dernière consacre deux fois plus de temps aux tâches ménagères.
  • Rares sont les jeunes pères à prendre un congé parental alors que leur pays leur en offre la possibilité.2

Les hommes participent à plus de décisions clés que les femmes. En dépit de plusieurs mesures de discrimination positive, la participation politique des femmes reste très faible : en Europe, la part des femmes parmi les parlementaires n’est que de 21%, avec des écarts important, de 4,4% en Turquie à 45% en Suède3. Parce que les hommes occupent les postes clés en politique, dans le monde financier et les médias, ce sont eux qui déterminent les programmes politiques et donnent le ton au discours politique. D’une manière générale, les hommes sont encore regardés comme la référence dans la famille humaine et la norme en matière de performance.

Les stéréotypes liés au genre

Nombreuses sont les institutions qui contribuent au renforcement des traditionnels stéréotypes en matière de genre. Dans, les médias, par exemple, les femmes sont essentiellement présentées comme des objets d’action publique, des victimes et des personnes investies dans le soin des autres. L’image donnée des hommes, en revanche, est généralement celle de personnes créatives, fortes, intelligentes et pleines d’initiatives. Si, à propos des hommes, les médias mettent en avant leur puissance et leurs réalisations, ils privilégient chez les femmes, même les plus accomplies, l’apparence – qui reste les concernant le premier critère d’évaluation. Ainsi, les médias, dont la télévision, la radio, les manuels scolaires, les livres pour enfants, les magazines, les films et quantité d’autres moyens de communication électroniques, assurent le maintien et la transmission des stéréotypes au sujet des hommes et des femmes.

Comme les médias, la famille, l’école et les centres de loisirs ont une responsabilité dans le renforcement de ces stéréotypes. Une étude récente a montré que les enseignants ont tendance à valoriser chez les garçons leur dynamisme, leur agressivité, leur indépendance, leur curiosité et leur esprit de compétition. Des filles en revanche, ils apprécient qu’elles soient obéissantes, gentilles, passives et positives à l’égard de la communauté.4 Parce que de tels stéréotypes se forment surtout pendant les années d’école, beaucoup de filles ne trouvent pas le courage de prendre leur indépendance, d’entrer dans la compétition ou de s’engager dans la vie publique.5 Celles d’entre elles qui ne se conforment pas aux attentes de genre s’exposent à la critique, à l’ostracisme voire à la violence.

Les stéréotypes traditionnels peuvent être préjudiciables, tant pour les garçons que pour les filles. Les attentes associées aux rôles masculins, à savoir la force et l’esprit de compétition, sont souvent en conflit avec les expériences quotidiennes des garçons : vie dans une structure familiale atypique, chômage, présente croissante des femmes dans la sphère publique, etc. Ces conflits sont susceptibles de perturber le développement de l’identité sexuelle des garçons. Et ceux qui ne se conforment pas à ces stéréotypes risquent de subir des brimades, l’exclusion et la discrimination.

QUESTION : Dans quelle mesure votre communauté se conforme-t-elle aux traditionnels stéréotypes de genre ? En quoi ces stéréotypes affectent-ils la vie des enfants ? La vôtre ?

La violence liée au genre

La violence liée au genre est une expression qui peut décrire toute forme de violence, qu’elle soit physique, psychologique, économique ou socioculturelle, et qui nuit à la santé physique ou psychologique, au développement et à l’identité de la personne, résulte des iniquités de pouvoir attachées au genre et exploite les distinctions entre hommes et femmes, entre hommes et entre femmes. La violence de genre touche tant les hommes que les femmes, mais davantage les femmes et les filles. C’est pourquoi on parle souvent en guise de raccourci de « violence à l’encontre des femmes ».

La violence de genre existe dans tous les pays, à travers les frontières, sans distinction de culture, de classe, d’éducation, d’ethnie et d’antécédents. Par exemple, les statistiques montrent que 12 à 15% des filles et des femmes en Europe sont concernées par la violence familiale au quotidien6. Les brimades et le harcèlement sexuel sont aussi le lot des femmes dans divers contextes, dont les établissements éducatifs et le lieu de travail.

Mais, bien évidemment, la violence basée sur le genre touche aussi les hommes. Par exemple, les garçons et les hommes qui n’affichent pas les qualités masculines se heurtent à des moqueries, voire à des actes de violence. De la même façon, les gays et les lesbiennes sont souvent en butte à des violences physiques ou verbales, en particulier à l’école, où enfants et jeunes découvrent la sexualité.

La violence de genre est un obstacle majeur à l’égalité entre les sexes et constitue une violation des droits de l’homme. Ces actes de violence sont généralement commis par des proches de la victime. Les institutions publiques ont néanmoins un rôle clé et une responsabilité eu égard aux victimes ; il leur incombe notamment d’oeuvrer pour la prévention de toutes les formes de violence de genre. L’un des instruments fondamentaux dans ce domaine est la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes (CEDAW), à ce jour ratifiée par 185 pays.

D’après les Nations Unies, la Convention offre les bases pour la réalisation de l’égalité entre les hommes et les femmes, en permettant que les femmes aient un accès égal à la vie politique et publique – y compris le droit de vote et d’éligibilité –, ainsi qu’à l’éducation, à la santé et à l’emploi. Les États parties conviennent de prendre toutes les mesures appropriées, y compris des lois et des mesures spéciales temporaires, pour que les femmes puissent jouir de tous leurs droits individuels et de toutes leurs libertés fondamentales.7

Qu’est-ce que l’éducation aux questions de genre ?

L’éducation aux questions de genre, notamment si elle s’adresse à la fois aux filles et aux garçons, peut être un vecteur important de l’égalité entre les sexes dans nos sociétés modernes. Son objectif est de changer les rôles occupés par les filles et les garçons, les femmes et les hommes, dans la vie publique et privée. En réduisant les stéréotypes associés à ces rôles, cette éducation aide les enfants à instaurer une véritable égalité civique, dans laquelle hommes et femmes vivent dans une relation de coopération et de respect mutuel.

L’éducation aux questions de genre démarre par une prise de conscience. Cela signifie de reconnaître les impacts négatifs des stéréotypes de genre et de s’attaquer aux inégalités qui en découlent.8 Chez les filles, cette éducation génère plus de confiance en soi, d’indépendance et d’engagement dans la vie publique. Quant aux garçons, elle les aide à surmonter la peur de l’échec, à être moins agressifs, à devenir plus sociables et responsables, et à s’investir davantage dans la sphère privée.

Une des fonctions centrales de l’éducation aux questions de genre est d’apprendre à distinguer les faits et les croyances, ou les opinions. En analysant des histoires ou leurs propres activités, les enfants parviennent rapidement à concevoir que les filles puissent être des garçons manqués et que les garçons puissent être sensibles et vulnérables. Tous les enfants doivent s’accepter en tant qu’individu unique et complexe, doté d’un large éventail de caractéristiques. Les stéréotypes et les attentes rigides relativement aux rôles de genre peuvent empêcher l’épanouissement individuel et la réalisation du plein potentiel des filles et des garçons.

L’éducation aux questions de genre est un processus permanent qui ne peut se limiter à des activités éducatives spécifiques. Les éducateurs doivent éviter les activités vecteurs de stéréotypes dès le plus jeune âge et veiller à ce que filles et garçons aient les mêmes possibilités de participation et d’échanges. Les filles doivent être encouragées à entrer en compétition avec les garçons dans les études et le sport, tandis que les garçons doivent participer à des activités sociales. Les deux sexes doivent être incités à participer à toutes sortes d’activités : chorale, théâtre, danse, ébénisterie, cuisine, randonnée, échec, etc. Les filles doivent être félicitées pour leurs réalisations et les garçons pour leur investissement en faveur des autres et leur solidarité.

Un autre objectif important de l’éducation aux questions de genre est d’aider les enfants à prendre conscience de la valeur traditionnelle des activités féminines, comme la maternité, et de qualités comme la prévenance, l’attention, la coopération et la tolérance. Cette reconnaissance devrait amener à un authentique partenariat entre les femmes et les hommes, qui est une finalité de cette forme d’éducation. Celle-ci apprend aux enfants qu’il existe différentes contributions masculines et féminines, d’égale importance, à la vie familiale et à la société, et que femmes et hommes sont égaux en termes de droits et de responsabilités.

Pour dispenser une éducation aux questions de genre qui soit efficace, les éducateurs doivent reconnaître leurs propres stéréotypes et se demander si leurs méthodes d’enseignement, leur langage et leurs modes d’échange avec les filles et les garçons reflètent l’égalité qu’ils s’efforcent de leur inculquer.

Les instruments de droits de l’homme applicables

Conseil de l’Europe

Le Conseil de l’Europe reconnaît l’égalité entre hommes et femmes en tant que droit fondamental. L’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme stipule que « la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions… ». Cet article sert de base à l’action de grande ampleur que déploie l’Organisation dans ce domaine. L’organe responsable, le Comité directeur pour l’égalité entre les femmes et les hommes (CDEG), effectue des analyses, des études et des évaluations, définit des stratégies et des mesures politiques et, si nécessaire, décide des instruments juridiques appropriés.9

Au moyen d’efforts et de campagnes de sensibilisation, comme « Stop à la violence domestique faite aux femmes ! »10, le Conseil de l’Europe lutte activement contre la violence de genre. Le programme « Construire une Europe pour et avec les enfants » cible diverses formes de sévices aux enfants : pornographie, prostitution, traite et agressions sexuelle par des pairs11.

Nations Unies

Le premier instrument juridique contraignant à interdire la discrimination à l’encontre des femmes et à obliger les gouvernements à prendre des mesures en faveur de l’égalité entre les sexes est la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes (CEDAW)12. Depuis son entrée en vigueur en 1981, la CEDAW protège l’ensemble des droits des femmes dans différents domaines, dont la politique, la santé, l’éducation, la loi, les biens, le mariage et les relations familiales. Les pays qui l’ont ratifiée ou signée ont l’obligation légale de mettre ses dispositions en pratique. Ils s’engagent également à soumettre des rapports nationaux, au minimum tous les quatre ans, sur les mesures prises pour se mettre en conformité avec la Convention. Depuis 2000, des femmes, seules ou en groupe, peuvent déposer des plaintes pour violation auprès du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, qui est habilité à mener des enquêtes en cas de violations systématiques ou graves.

QUESTION : Votre pays est-il Partie à la CEDAW ? Si oui, quand a-t-il soumis son dernier rapport ? Des groupes ont-ils soumis des rapports alternatifs présentant des positions différentes de celles du gouvernement ? À vous d’enquêter !

En 2000, les Nations Unies ont lancé un projet mondial, les Objectifs du Millénaire pour le développement13, dont l’un est d’« éliminer les disparités entre les sexes dans les enseignements primaire et secondaire d’ici à 2005, si possible, et à tous l es niveaux de l’enseignement en 2015, au plus tard ». Ce programme est d’une extrême pertinence pour l’Europe, où l’égalité d’accès à l’éducation et la pleine participation des filles à la prise de décision sont encore loin d’être une réalité.

La Convention des droits de l’enfant

L’article 2 de la Convention des droits de l’enfant affirme que les droits qui sont énoncés dans la présente Convention doivent être garantis sans discrimination aucune, notamment sur la base du sexe. L’article 18 vise un rôle plus équilibré des parents dans la famille et l’éducation des enfants, stipulant que « les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d’élever l’enfant… et doivent être guidés avant tout par l’intérêt supérieur de celui-ci ».

Ressources utiles

Sites Web utiles

Références

1. Voir « Qu’entendons-nous par sexe et par genre ? », www.who.int/gender/whatisgender/fr/index.html

2. Lejon, Britta, citée dans Åkerlund, Pia, Girls’ Power: A compilation from the conference on gender equality: Swedish National Board for Youth Affairs, Stockholm, 2000

3. Sex-disaggregated statistics on the participation of women and men in political and public decision making in Council of Europe member states, Comité directeur pour l’égalité entre les femmes et les hommes (CDEG), Doc. CDEG (2006) 15: Conseil de l’Europe, 2006

4. Thun, Eva, Gender Stereotypes in the School, Hírn?k Feminist webportal, Hongrie, 2002

5. La promotion de l’approche intégrée de l’égalité entre les sexes à l’école, Rapport final du Groupe de spécialistes de l’approche intégrée de l’égalité entre les sexes à l’école, EG-S-GS (2004) RAP FIN, Conseil de l’Europe, 2004

6. Campagne du Conseil de l’Europe pour combattre la violence à l’égard des femmes, y compris la violence domestique, Fiche d’information, Conseil de l’Europe, 2006

7. www.un.org/womenwatch/daw/cedaw

8. Making Rights a Reality: Gender awareness workshops, Amnesty International, 2004, p. 61

9. « Egalité entre les femmes et les hommes »: www.coe.int/T/e/human_rights/equality

10. « Stop à la violence domestique faite aux femmes »: www.coe.int/t/dc/campaign/stopviolence/default_en.asp

11. « Les abus sexuels sur les enfants ... le mal de vivre »: www.coe.int/t/transversalprojects/children/violence/sexualabuse_FR.asp?

12. Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes: www.un.org/womenwatch/daw/cedaw

13. Les Objectifs du Millénaire pour le développement: www.un.org/millenniumgoals