Manuel pour la pratique de l’éducation aux droits de l’homme avec les enfants
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II. L’ÉDUCATION AUX DROITS DE L’HOMME, C’EST QUOI ?

[T]ous les individus et tous les organes de la société… s’efforcent, par l’enseignement et l’éducation, de développer le respect de ces droits et libertés…

Préambule, Déclaration universelle des droits de l’homme

1. Présentation de l’éducation aux droits de l’homme

Une unique définition de l’éducation aux droits de l’homme ne saurait refléter toute la diversité de la façon dont jeunes et moins jeunes comprennent et pratiquent leurs droits et le respect des droits d’autrui, et l’importance qu’ils y attachent. Le Programme jeunesse du Conseil de l’Europe sur l’éducation aux droits de l’homme en propose quant à lui la définition suivante :

… les activités et programmes éducatifs visant à promouvoir l’égale dignité des êtres humains, parallèlement à d’autres programmes tels ceux qui promeuvent l’apprentissage interculturel, la participation et l’émancipation des minorités.

L’adverbe « parallèlement » met l’accent sur une donnée essentielle : l’éducation aux droits de l’homme est en effet rarement dispensée hors d’un contexte spécifique ; en outre, elle doit dans l’idéal avoir pour base les besoins, les préférences, les capacités et les désirs des apprenants.

La clé de la définition de l’éducation aux droits de l’homme se trouve dans son objectif car, indépendamment de la méthodologie ou du contexte, elle vise toujours le développement d’une culture de droits de l’homme. Les composantes essentielles d’une telle culture peuvent donc renseigner sur les objectifs généraux d’une éducation aux droits de l’homme :

  • renforcement du respect des droits de l’homm e et des libertés fondamentales ;
  • attachement à la dignité humaine, développement du respect de soi et des autres ;
  • adoption de points de vue et d’attitudes porteurs de respect des droits de l’autre ;
  • garantie d’une authentique égalité entre les sexes et de l’égalité des chances pour les femmes, dans tous les secteurs ;
  • promotion du respect, de la compréhension et de l’appréciation de la diversité culturelle, notamment celles des différentes minorités ou communautés nationales, ethniques, religieuses et linguistiques ;
  • responsabilisation de chacun dans le sens d’une citoyenneté plus active ;
  • promotion de la démocratie, du développement, de la justice sociale, de l’harmonie collective, de la solidarité et de l’amitié des peuples et des nations ;
  • développement des activités des institutions internationales visant à l’instauration d’une culture de paix fondée sur les valeurs de portée universelle que sont les droits de l’homme, la compréhension au niveau international, la tolérance et la non-violence.

L’éducation des enfants aux droits de l’homme

L’enfance est le moment idéal pour entamer un apprentissage tout au long de la vie sur et pour les droits de l’homme. Car l’objectif d’une éducation générale aux droits de l’homme est ambitieux : il s’agit de donner sa place au monde du jeune enfant, en lui offrant la possibilité d’expériences personnelles concrètes, dans la communauté et la famille et dans les relations personnelles qu’il entretient au quotidien avec les adultes et ses pairs. L’apprentissage des droits de l’homme vise à favoriser le développement de la confiance en soi et de la tolérance sociale, qui sont le socle de la culture des droits de l’homme :

  • apprendre le respect de soi et des autres ;
  • reconnaître et respecter les droits de l’homme au quotidien ;
  • comprendre ses propres droits fondamentaux et être capable de les présenter clairement ;
  • apprécier et respecter les différences ;
  • acquérir la capacité d’aborder les conflits de façon non violente et dans le respect des droits des autres ;
  • développer chez l’enfant la confiance en sa capacité à agir, et à défendre et promouvoir les droits de l’homme.

Bien que seulement au début de leur parcours d’éducation formelle, les enfants possèdent une richesse de connaissances sur leur monde et ses habitants. Autant que possible, l’éducation aux droits de l’homme doit être en lien avec leurs connaissances et les éclairer. Par exemple, même si les enfants de 7-8 ans n’utilisent pas des termes comme justice, égalité ou discrimination, ils ont un sens profond de ce qui est « juste ».

Connaissances, compétences et attitudes

Connaissances : l’apprentissage des droits de l’homme

De quel type de connaissances les enfants ont-ils besoin pour comprendre les droits de l’homme dans leur vie quotidienne ? De quelles compétences et attitudes ont-ils besoin pour développer et maintenir une culture de vie basée sur les droits de l’homme ? Repères Juniors tente de répondre à ces questions de deux façons : d’une part avec les informations de référence qu’il fournit aux animateurs, d’autre part avec les activités qu’il recommande pour apprendre aux enfants les droits de l’homme. Cette approche holistique englobe un apprentissage au sujet des droits de l’homme, pour les droits de l’homme et dans le domaine des droits de l’homme.

  • Même si les connaissances au sujet des droits de l’homme varient selon la maturité et la capacité de l’enfant, elles incluent généralement les concepts essentiels ci-après:
  • Les droits de l’homme fournissent des règles de comportement applicables dans la famille, à l’école, dans la communauté et dans le monde en général ;
  • Les normes de droits de l’homme sont universelles, même s’il peut exister différentes façons de les interpréter et de les mettre en pratique ;
  • Tout enfant a des droits humains ainsi que la responsabilité de respecter les droits des autres. Ces droits incluent le droit à la protection, à des services, à la participation et à l’expression d’opinions sur les questions qui le concerne. Ces droits sont énoncés dans la Convention des droits de l’enfant ;
  • Il existe d’autres instruments internationaux pour la protection des droits de l’homme, comme la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) et la Convention européenne des droits de l’homme.

Compétences : l’apprentissage pour les droits de l’homme

Les enfants doivent acquérir des compétences pour pouvoir participer à la démocratie et contribuer à la création d’une culture de paix. Ces compétences incluent :

  • une écoute et une communication active : être capable d’écouter différents points de vue, d’exprimer ses opinions et d’évaluer ses avis et ceux des autres ;
  • la réflexion critique : faire la différence entre les faits et les avis, être conscient des préjugés et des idées préconçues, reconnaître les différentes formes de manipulation ;
  • la capacité à coopérer et à aborder les situations conflictuelles de manière constructive ;
  • la formation de consensus ;
  • la participation démocratique à des activités avec des pairs ;
  • la capacité à s’exprimer avec confiance ;
  • la résolution des problèmes.

Attitudes : l’apprentissage en matière de droits de l’homme

Les droits de l’homme ne sont pas que des documents juridiques contraignants pour les États. Ce sont aussi des principes supposés guider enfants et adultes pour vivre ensemble. Pourtant, parce qu’elles sont impalpables et s’expriment principalement à travers les actes qu’elles inspirent, les valeurs et les attitudes sont, dans l’éducation aux droits de l’homme, les plus difficiles à inculquer. Les enfants apprennent autant voire davantage d’exemples implicites que de leçons explicites et, de surcroît, ont un sens aigu de l’hypocrisie. Il incombe donc à celui qui travaille avec les enfants d’incarner les valeurs de droits de l’homme qu’il souhaite transmettre.

Parmi les attitudes à inculquer en matière de droits de l’homme, figurent :

  • le respect de soi et des autres ;
  • le sens de la responsabilité de ses actes ;
  • la curiosité, l’ouverture d’esprit et la capacité à apprécier la diversité ;
  • l’empathie et la solidarité, et l’engagement à soutenir tous ceux dont les droits sont menacés ;
  • le sens de la dignité humaine, de sa propre valeur et de celle des autres, indépendamment des différences sociales, culturelles, linguistiques ou religieuses ;
  • le sens de la justice et de la responsabilité sociale de garantir le traitement équitable de tous ;
  • le désir de contribuer à l’amélioration de l’école et de la communauté ;
  • la confiance nécessaire pour promouvoir les droits de l’homme à l’échelle locale et mondiale.

Méthodologies de l’éducation aux droits de l’homme

Parce que les méthodologies participatives partent du principe que chacun a le droit d’avoir son opinion et qu’elles respectent les différences individuelles, elles se sont avérées particulièrement efficaces pour l’éducation aux droits de l’homme. Dépasser le contenu factuel pour favoriser l’acquisition de capacités, d’attitudes, de valeurs et de modes d’action requiert une structure éducative « horizontale » plutôt que « hiérarchique ». Cette structure démocratique engage chaque individu et lui donne la possibilité de penser et d’interpréter en toute indépendance. Elle encourage l’analyse critique de situations tirées de la vie réelle et peut amener à une action réfléchie et appropriée pour la promotion et la protection des droits de l’homme. Autrement dit, pour être efficace, l’éducation aux droits de l’homme doit fournir aux enfants un cadre favorable dans lequel les droits de chacun sont respectés.

Les méthodologies décrites ci-après sont utilisées dans une grande diversité d’environnements d’apprentissage, tant formels que non formels, avec un nombre illimité de thématiques. Néanmoins, elles ont en commun certaines caractéristiques qui les rendent particulièrement adaptées à une pratique avec des individus de tous âges :

  • le respect des expériences de l’enfant et l’acceptation de la diversité de points de vue ;
  • la promotion du développement personnel, de l’estime de soi, et le respect de chaque enfant ;
  • l’autonomisation de l’enfant, pour qu’il parvienne à définir ce qu’il souhaite apprendre et recherche lui-même les informations dont il a besoin ;
  • l’active participation de tous les enfants à leur apprentissage, en limitant au maximum l’écoute passive ;
  • la promotion d’environnements d’apprentissage non hiérarchiques, démocratiques et collaboratifs ;
  • l’encouragement de la réflexion, de l’analyse et de la pensée critique ;
  • l’incitation à des réponses subjectives et émotionnelles de même qu’un apprentissage cognitif ;
  • l’encouragement à changer de comportement et d’état d’esprit ;
  • l’accent sur le développement de capacités et la mise en pratique de l’apprentissage ;
  • la reconnaissance de l’importance de l’humour, du plaisir et de la créativité pour l’apprentissage.

Dans Repères Juniors, les activités proposées associent diverses méthodes et techniques présentant ces caractéristiques. L’animateur ne doit pas oublier que certaines méthodes peuvent ne pas se prêter à des groupes présentant des antécédents culturels mélangés ou des besoins spéciaux (par exemple, les méthodes impliquant des contacts physiques ou du dessin) ou exiger des ressources inhabituelles ou inaccessibles (comme l’accès à Internet ou à une bibliothèque). L’animateur doit aborder chaque activité en sachant qu’il peut adapter les méthodologies proposées pour répondre aux besoins des enfants et à leur environnement culturel et social.

L’éducation non formelle

La plupart des choix et des adaptations opérés par l’animateur vont dépendre de la composition du groupe, de l’âge des enfants, de ses compétences personnelles et du contexte dans lequel tous vivent et travaillent. À propos du cadre de l’éducation aux droits de l’homme, il est important de déterminer si celui-ci est formel, non formel ou informel.

L’éducation formelle fait référence au système éducatif structuré, qui va du primaire à l’université, et qui englobe les programmes spécialisés de formation technique et professionnelle. Dans ce domaine, les principaux prestataires sont les écoles et divers établissements d’enseignement supérieur. La Déclaration universelle et la Convention des droits de l’enfant prescrivent que tous les enfants bénéficient au moins d’une éducation élémentaire formelle (gratuite).

L’éducation non formelle recouvre tous les programmes planifiés et les démarches volontaires d’éducation individuelle et sociale visant l’enseignement et la pratique de valeurs et le développement d’un large éventail de compétences et de capacités pour la vie démocratique. L’éducation non formelle pour enfants inclut les activités extrascolaires, les activités hors programme scolaire dans les écoles, les camps d’été et les centres de loisirs. Ce type d’éducation privilégie une approche participative.

L’éducation informelle désigne un processus permanent involontaire, tout au long de la vie, par lequel chacun développe des attitudes et des valeurs et acquiert des capacités et des connaissances à partir des expériences et ressources éducatives de son milieu ambiant et de la vie quotidienne (famille, voisinage, bibliothèque, médias, milieu professionnel, loisirs, etc.).

Ces différentes formes d’éducation – formelle, non formelle et informelle – sont complémentaires et se renforcent mutuellement dans le cadre plus global de l’apprentissage tout au long de la vie. Les activités de Repères Juniors ont été conçues pour offrir une souplesse suffisante à une utilisation dans ces différents contextes : à l’école, dans les organisations d’enfants, les clubs de jeunes, les camps d’été, le travail social et la famille.

Introduire l’éducation aux droits de l’homme dans le travail avec les enfants

Parce que les droits de l’homme font partie du quotidien de chacun, l’éducation aux droits de l’homme devrait être intégrée dans l’apprentissage des enfants. Nous ne recommandons pas Repères Juniors en guise de « cours » sur les droits de l’homme, telle n’est d’ailleurs pas sa prétention, mais comme outil pour favoriser chez les enfants une prise de conscience et la compréhension des droits de l’homme dans leur réalité. Recherchez des occasions de faire le lien entre les droits de l’homme et ce qui se passe à l’école, dans la communauté et le groupe d’enfants avec lequel vous travaillez : un conflit dans la cour de récréation, des attitudes négatives à l’égard des minorités ou l’exclusion sexiste des filles de certaines activités. Cela étant, évitez d’aborder les droits de l’homme uniquement sous l’angle des violations. Insistez sur le fait que nous jouissons de ces droits au quotidien !

L’un des objectifs fondamentaux de l’éducation aux droits de l’homme est d’agir au nom des droits de l’homme, d’encourager et d’améliorer la capacité des enfants à conduire des actions appropriées et significatives en réponse aux problèmes identifiés. Pour les enfants, cette action peut se situer au niveau des individus, comme la résolution de conflits au sein du groupe ou de la famille, ou le changement d’attitude à l’égard de la fratrie. Mais ils peuvent aussi agir au sein de la communauté élargie, par exemple en organisant une journée pour célébrer les droits de l’homme internationaux ou une exposition d’oeuvres d’artistes sur le thème des droits de l’homme. Plus les enfants sont jeunes, plus ils compteront sur le soutien de l’animateur pour initier et conduire des projets plus ambitieux.

Le droit à l’éducation aux droits de l’homme

L’éducation aux droits de l’homme est en soi un droit fondamental et une responsabilité : ainsi, le Préambule de la DUDH exhorte « tous les individus et tous les organes de la société… à s’efforcer, par l’enseignement et l’éducation, de développer le respect de ces droits et libertés. » L’article 26.2 de la DUDH stipule :

L’éducation doit viser… au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix.

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIRDCP) stipule qu’un gouvernement ne peut se mettre en travers de la route des citoyens qui veulent s’informer au sujet de leurs droits.

Les personnes mal informées sont davantage exposées à des violations de leurs droits. Qui plus est, il manque souvent à celles-ci les repères linguistiques et conceptuels qui leur permettraient de les défendre avec efficacité. Un tel constat justifie d’autant plus d’éduquer les enfants aux droits de l’homme !

On admet de plus en plus qu’il faut éduquer pour, au sujet et en matière de droits de l’homme. C’est une façon de contribuer à la création de sociétés libres, justes et pacifiques. Par ailleurs, l’éducation aux droits de l’homme est de plus en plus reconnue comme une stratégie efficace pour la prévention des violations des droits de l’homme.

L’éducation aux droits de l’homme et les autres domaines d’enseignement

Repères Juniors est organisé autour de treize thèmes liés aux droits de l’homme – chacun étant en relation directement avec un ou plusieurs droits de l’homme (voir Chapitre V, p. 213, pour une discussion sur ces thèmes) :

  • Citoyenneté
  • Démocratie
  • Discrimination
  • Éducation et loisirs
  • Environnement
  • Famille et placements alternatifs
  • Égalité entre les sexes
  • Santé et bien-être
  • Médias et Internet
  • Participation
  • Paix et sécurité humaine
  • Pauvreté et exclusion sociale
  • Violence

Aucun de ces thèmes ne prime sur un autre. Bien au contraire. Ils sont à ce point interdépendants qu’aborder l’un amène naturellement à en aborder un autre. C’est là une conséquence directe de la nature des droits de l’homme, qui sont indivisibles, interdépendants et corrélés. Ils ne peuvent être traités séparément, car tous sont liés entre eux par des voies diverses.

Le graphique ci-après propose une illustration de cette relation d’interdépendance. Les questions figurant sur le cercle extérieur se mêlent, tout comme les domaines éducatifs inscrits dans la partie centrale du cercle. De même, les frontières entre les première, deuxième et troisième générations de droits sont floues. L’éducation, par exemple, est traditionnellement considérée comme un droit de deuxième génération. Or, l’éducation est tout aussi indispensable à la participation du citoyen (première génération de droits) qu’à la défense du développement durable (droit de troisième génération). Par conséquent, l’analyse suivante doit apparaître comme une réflexion possible parmi d’autres. Quoi qu’il en soit, elle devrait permettre d’illustrer la pertinence des divers thèmes précités par rapport à bon nombre de domaines d’enseignement actuels, ainsi que les recoupements entre ces différents domaines.